Du Tsavo, les lions
Venez, venez,
installez-vous sous l'arbre à palabres
et détendez-vous, la soirée est douce, la nuit sera calme.
Plus aucune femme n'osait s'aventurer dans la savane,
aucun petit ne sortait du village,
seuls quelques braves s'y risquaient.
Mais chercher de l'eau ou des fruits n'était pas leur envie.
Leur lance attendait les flancs de Fantôme et Ténèbres,
les naseaux des deux lions humaient leur peur,
leur langue se remémorait leur goût.
Le village dépérissait.
De rive en rive, de rivière en fleuve,
se répandit la légende des lions du Tsavo.
Les oreilles du grand chasseur blanc palpitèrent,
les femmes du roi des Umbugwe palabrèrent.
Et bientôt des pas résonnèrent dans la savane.
La lune se cacha derrière un maigre nuage,
les villageois fermèrent leurs cases,
les braves erraient toujours, la lance aux aguets.
Fouillant la nuit,
les terribles chasseurs blancs appelèrent les lions,
mais ne trouvèrent que les braves du village
qui les accompagnèrent.
Discrètement, sous les ombres nocturnes,
les petits hommes du roi avançaient.
Les pas des braves du village
les guidaient auprès d'eux.
Le tonnerre résonna,
un cri s'éteint en un feulement douloureux.
Un léopard gisait aux pieds des chasseurs blancs.
Son corps épais remuait encore,
ses muscles ne lui obéissaient plus.
Etait-ce lui, ce fauve redoutable ?
Celui qui avait dévoré le tiers du village
et maintenu ses portes serrées ?
Où étaient les deux terribles lions ?
Les braves du village
étaient maintenant saufs.
Chacun ou presque, recueilli par les Blancs
ou par les hommes du roi.
Et ces deux fous s'opposaient
et luttaient à mort
sans prendre garde aux lions qui rôdaient.
Les tirs arrachaient la nuit à son calme,
la lune n'osait pas ressortir
et s'attardait sous son nuage.
Les hommes tombaient, tombaient.
La savane ne bougeait plus,
ni lion ni bête ne se montrait.
Les braves se risquèrent alors à retourner
accompagnés des chasseurs blancs
aux portes du village.
Les hommes du roi disparurent,
silencieux comme ils étaient arrivés.
Et la lune sortit enfin.
Du Tsavo, les lions,
il ne fut plus jamais question.