Les Verts de la côte
Ki de bone matire traite,
mult li peise, se bien n'est faite,
Oëz, seignur, que dit Marais,
ki en sun tens pas ne s'oblie.
Les contes que jo sai verais,
dunt li marins unt fait les lais,
vous conterai assez briefment.
El chief de cest comencement
sulunc la vüe e l'entendure
vos mosterrai une aventure,
ki en Utopë la Menur
avint al tens anciënur.
Qué Madame, vous n'entendez point la langue de la grande Marie qui de France nous vint ?
C'est donc en langue vulgaire que je vous narrerai cette fameuse et triste épopée.
Or donc, en ce temps là, j'étions un jeune et fringant marin qui navigait de port en port et sur toutes les îles de notre mer centrale, cherchant à échapper au terrible Sarde Flottant et à son capitaine.
La nuit précédente avait vu se déclencher un orage tel qu'on n'en avait jamais vécu de mémoire de baleine. Je sortions de l'auberge avec cette impression que le monde n'allait plus tout à fait droit quand je remarquions un navire dans la baie agitée et un radiot s'esprocher.
La vérité est que ce radiot portait les plus estranges gabelous que j'avions mie vu.
Des marlots qu'avoient la teste de sinople comme les algues qui traînent sur les costes. Ils ahanoient tant qu'ils pouvoient et regardoient autour d'eux d'un air ahuri.
Armés jusqu'aux dents et les pieds nus comme la misère, leur allure n'annonçait pas grand chose de bon.
C'est alors que j'remarquions le capitian Tréviz' sur le port encor' désert à mâtines.
Il attendait les verdiots et les salua d'un "Kalo̱sórisma !" sonore.
Il les conduisit à l'abri de sa grande demeure et on ne les revit que bien plus tard.
Leur navire flotta dans la baie pendant toute une semaine puis, un matin, j'remarquions qu'il était plus là. Mais on n'avait pas fini d'entendre parler d'eux...
C'est bien des années plus tard, à la suite de confidences de gobelets, que j'avions appris comment ils étoient arrivés là et avoient changé toute notre vie.
Leur capitaine estait un fameux soldat qui avait mesné nombre de guerres parmi les siens. Parfois victorieux, souvent vaincu, il se relevait toujours du champ de bataille pour repartir à l'ost.
Un de ces soldats sans nom qui combat parce que c'est son métier et que c'est ce qu'on attend d'icelui.
Tost la bataille échue, il se releva et, pour la première fois de son existence, ouvrit les yeux sur le carnage dont il esmergeait.
Sous l'effet du choc, il s'esvanouit et resta longtemps à errer entre les mondes, à la marge entre la réalité et le resve, entre la vie et la mort, entre le mythe et l'histoire...
C'estoient ses propres cris qui le fisrent sortir de sa torpeur.
Ce qu'il avait aperçu, il ne le revesla mie à quiconque. Mais plus il ne fust comme auparavant...
Sur la plaisne où son corps s'esveillait, deux des êtres de son monde parcouroient les cadavres.
Ils n'étoient pas sinoples comme lui, mais entièrement de gueules.
Ils faisoient leur marché comme s'ils étoient sur la grand'place du port. Quérant de ci de là ce qui semblait les contenter, ils parloient d'une voix grinçante que couvroient les cris de ceux qu'ils achevoient.
Puis, leurs bras pleins, ils s'esvanouirent dans la forest de bouleaux qui bordait la plaisne.